Dénis climatiques
L’histoire du déni de la catastrophe climatique débute en même temps que celle de son exploration scientifique. Les mêmes « marchands de doute » qui s’étaient successivement employés à minimiser les risques associés au tabagisme, aux pluies acides et à l’hiver nucléaire ont à nouveau exploité le problème épistémologique de l’incertitude—inhérente à toute entreprise de connaissance— d’abord afin de nier la réalité du réchauffement de la planète, puis pour occulter son incidence.
Le négationnisme climatique serait-il néanmoins en recul ? Jusqu’à une date récente, les plus optimistes ont pu le croire, quitte à se satisfaire des politiques de décarbonation fondées sur des mécanismes de prix incitatifs (taxe carbone, marchés de quotas d’émission) et destinées à internaliser les externalités écologiques du capitalisme fossile. Cependant, tant le dépassement récent du seuil de 1,5 °C fixé par l’Accord de Paris que la montée en puissance des droites radicales, tragiquement illustrée par le retour de Donald Trump à la présidence des États-Unis, suggèrent que l’annonce d’une conversion des élites politiques à la quête de la sobriété était pour le moins prématurée.
Pour rendre compte de la régression en cours, il convient d’abord d’inventorier les différentes formations discursives qui structurent le débat sur la question climatique. Or, en la matière, on constate que le sens commun se déplace rapidement vers la droite : longtemps dicté par les promoteurs d’un capitalisme vert, pour qui la transition vers un monde décarboné est aussi prioritaire que compatible avec la rentabilité des investissements, il semble désormais happé par les contempteurs de « l’écologie punitive » et, dans une moindre mesure, par les apôtres d’un environnementalisme néomalthusien prônant la souveraineté énergétique, la fermeture des frontières et le contrôle des naissances dans les pays du Sud.
Au niveau des déclarations d’intention, le verdissement sans peine excessive prôné par les avocats du Net Zéro est d’une tout autre nature que l’exhortation à Drill Baby Drill qui tient lieu de mot d’ordre à l’administration Trump. En pratique, cependant, les différences entre les deux approches sont souvent affaire de degrés : les rivalités qui président aux politiques industrielles menées par les États-Unis, l’Europe et la Chine mais aussi les logiques d’accumulation du capital dans les secteurs fossile et renouvelable tendent en effet à favoriser la subordination des impératifs de soutenabilité aux objectifs de sécurité, en particulier dans un contexte d’aiguisement des tensions géopolitiques et de réaménagement des alliances.
Marqué par l’essor d’une forme de carbo-cynisme, le point de bascule actuel appelle paradoxalement à autant de nuances que d’intransigeance : s’il ne peut être question de confondre les carences des COP avec la politique de la terre brûlée conduite par leurs ennemis, on se doit également de souligner les convergences entre la lucidité affectée par les uns et le négationnisme professé par les autres – notamment parce que les gouvernements ostensiblement sensibles à l’urgence climatique paraissent renoncer à la mitigation véritable que constitue le désengagement stratégique des actifs fossiles au profit d’une stratégie d’adaptation au réchauffement fondée sur la promotion de technologies aussi hasardeuses que la géo-ingénierie et la captation directe du dioxyde de carbone dans l’air.
EXTRACTIVISME, VERT ET BRUN
Propos recueillis le 14 Mars 2025
"Lorsque j’emploie le terme de capitalisme vert, je fais référence à un ensemble de forces productives déjà déployées, qui englobe à la fois des secteurs dont l’existence est justifiée par leur contribution supposée à l’effort de décarbonation – tels que la production de batteries au lithium ou d’aciers bas carbone – et des technologies non éprouvées, telles que la géo-ingénierie ou le captage et le stockage du carbone."
Timelines
1973

L’OPEP et la première vague de sécurisation des ressources dans les années 1970. L’ascension de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) dans les années 1970 marque un tournant majeur dans l’affirmation de la souveraineté des pays du Sud sur leurs ressources, remettant en cause la domination occidentale par la nationalisation des industries pétrolières. Le choc pétrolier de 1973, la nationalisation du cuivre au Chili en 1971, et les craintes croissantes de raréfaction des ressources conduisent les États-Unis à lancer des politiques de sécurité énergétique, telles que le « Project Independence » de Nixon ou les mesures de Carter. Ces stratégies reprennent des dispositifs hérités de la Seconde Guerre mondiale, notamment le stockage stratégique de minéraux comme le lithium. Les projets contemporains d’un « OPEP du lithium » font écho à cette première ruée vers les frontières extractives, fondatrice du capitalisme global.
2008

Le boom des matières premières : la sécurité des ressources à l’ère de la crise de 2008. Le boom des matières premières autour de 2008, porté par l’industrialisation rapide de la Chine, ravive les inquiétudes du Nord global face à sa dépendance aux ressources dans un contexte de crise financière. Tandis que les États-Unis subissent les conséquences du krach et que naissent des mouvements comme Occupy, les pays exportateurs de ressources profitent de la demande mondiale. Les terres rares — essentielles aux technologies vertes — deviennent un enjeu stratégique majeur, la Chine contrôlant plus de 70 % de la production. Bien que ces ressources ne soient pas géologiquement rares, leur extraction entraîne de lourds dégâts environnementaux et sanitaires, particulièrement en Chine, où l’absence de régulation conduit à une contamination massive des sols et à la prolifération de « villages du cancer ».
2018

La sécurité des ressources sous le premier mandat de Trump. En 2018, l’administration Trump élargit la définition des « minéraux critiques » et allège les régulations pour relancer l’extraction nationale, en particulier du lithium. Cette orientation, ancrée dans un nationalisme économique, associe politique minérale, sécurité nationale et relance industrielle. Des décrets exécutifs et des propositions législatives, comme l’American Mineral Act de la sénatrice Lisa Murkowski, présentent la dépendance vis-à-vis des importations chinoises comme une menace stratégique. Même des responsables comme Francis Fannon, alors secrétaire adjoint à l’Énergie, mettent en avant les enjeux éthiques et écologiques liés à l’extraction à l’étranger, plaidant pour un approvisionnement « allié » afin de garantir la crédibilité de la transition énergétique.
2021-2024

La politique industrielle de Biden pour une domination verte. L’administration Biden reprend et amplifie les politiques minières initiées sous Trump, en les réorientant vers les objectifs de transition écologique. Un rapport sur les chaînes d’approvisionnement publié en 2021 propose une stratégie de filière lithium intégrée — de l’extraction au recyclage — appuyée par la loi sur la production de défense et des financements publics massifs. La loi sur les infrastructures (2021), l’Inflation Reduction Act (IRA) et le CHIPS and Science Act (2022) allouent plusieurs centaines de milliards de dollars à la relocalisation industrielle, tout en imposant des règles strictes sur la provenance des composants pour véhicules électriques. En 2024, Biden augmente fortement les tarifs douaniers sur les batteries, véhicules électriques et minéraux chinois, associant transition énergétique et compétition géopolitique, au risque de brouiller la frontière entre action climatique et protectionnisme.
2025

Trump 2.0. Depuis son retour à la Maison-Blanche en janvier 2025, Trump a relancé une stratégie offensive en matière de minéraux critiques. Le décret 14241 invoque la loi sur la production de défense pour accélérer l’exploitation sur le sol américain. Le décret 14272 ordonne une enquête sur les risques liés aux importations de minéraux transformés, prélude à de potentielles sanctions commerciales. Un troisième décret promeut l’exploitation offshore des grands fonds marins. En mai 2025, dix nouveaux projets miniers sont intégrés au programme FAST-41 de simplification des procédures. Cette stratégie, qui vise l’autonomie minérale des États-Unis et leur domination sur les matériaux stratégiques, s’accompagne paradoxalement d’un désengagement des investissements renouvelables.