La Fabrique du déni
- Introduction
- Le George C. Marshall Institute : de la dissuasion nucléaire à la guerre des étoiles
- L’ingérence de la Maison-Blanche dans le rapport sur les pluies acides
- “Une porte dérobée vers le communisme ?” : Fred Singer contre le Protocole de Montréal
- Revelle, Schelling, Nordhaus : du déni frontal au retard organisé
- “L’effet Maison-Blanche” sous George H.W. Bush
- La qualité nouvelle du déni climatique
- Trump 2.0 : du déni à la destruction
- La capture du carbone comme nouvelle forme de déni
- Différenciation, exportation et convergence des formes de déni
- Version intégrale
Introduction
Biographie de Naomi Oreskes
Naomi Oreskes est professeure d’histoire des sciences à Harvard.
Géologue, historienne et conférencière, elle est l'auteure, entre autres, de The Rejection of Continental Drift : Theory and Method in American Earth Science (Oxford University Press,1999), de Science on a Mission: How Military Funding Shaped What We Do and Don’t Know about the Ocean (The University of Chigaco Press, 2021) et co-auteure, avec Erik M. Conway de l’ouvrage Le Grand mythe. Comment les industriels nous ont appris à détester l’État et à vénérer le libre marché (Les Liens qui libèrent, 2024).
Elle est une voix majeure sur le rôle de la science dans la société, la réalité du changement climatique d’origine anthropique, ainsi que le rôle de la désinformation dans le blocage de l’action climatique.
Biographie de Naomi Oreskes
Naomi Oreskes est professeure d’histoire des sciences à Harvard.
Géologue, historienne et conférencière, elle est l'auteure, entre autres, de The Rejection of Continental Drift : Theory and Method in American Earth Science (Oxford University Press,1999), de Science on a Mission: How Military Funding Shaped What We Do and Don’t Know about the Ocean (The University of Chigaco Press, 2021) et co-auteure, avec Erik M. Conway de l’ouvrage Le Grand mythe. Comment les industriels nous ont appris à détester l’État et à vénérer le libre marché (Les Liens qui libèrent, 2024).
Elle est une voix majeure sur le rôle de la science dans la société, la réalité du changement climatique d’origine anthropique, ainsi que le rôle de la désinformation dans le blocage de l’action climatique.
Prologue
Récemment encore, on nous expliquait que le point culminant du déni climatique était derrière nous. L’heure serait désormais au capitalisme vert et au développement durable. Même les administrateurs mondiaux du capital fossile, convaincus par des incitations tant financières que politiques, se seraient résolus à la nécessité d’une transition énergétique.
Il est vrai qu’à partir de la fin des années 2010, l’action climatique mondiale a connu un élan sans précédent : pressés par un vigoureux mouvement citoyen et une succession de grandes marches pour le climat, les dirigeants politiques du Nord global ont pris des engagements ambitieux, notamment consignés dans le Pacte vert européen et la loi Biden sur la réduction de l’inflation. Sensibles à l’air du temps, les trois plus grands cabinets de conseil internationaux ont eux aussi fait assaut de vertu environnementale. Toutefois, la montée en puissance des droites radicales, tragiquement incarnée par le retour au pouvoir de Donald Trump, a mis un coup d’arrêt brutal aux espoirs que cette évolution permettait de nourrir. Soudain libérés de l’obligation de sacrifier au greenwashing, les promoteurs du déni climatique tirent parti du carbo-cynisme arboré par le locataire de la Maison blanche pour revenir à un négationnisme sans fard.
L’historienne américaine des sciences, Naomi Oreskes, nous dresse un portrait de ceux qu’elle appelle “Les marchands de doute”. Dans l‘ouvrage phare qu’elle a coécrit avec Erik Conway en 2010, elle montrait comment, dans les années 80 déjà, un petit groupe de scientifiques, étroitement liés par des intérêts idéologiques et économiques, s’était efforcé de minimiser les risques associés au tabagisme, aux pluies acides ou encore à l’hiver nucléaire. Sous le patronage de l’administration Reagan, l’objectif était clair : il s’agissait de décrédibiliser la science et d’insuffler le doute pour justifier l’inaction politique.
Aujourd’hui, la triade classique du déni climatique, à savoir nier le réchauffement de la planète, contester ses impacts et mitiger la responsabilité humaine, s’accompagne d’une nouvelle tendance. Avec l’essor de l’autoritarisme, il ne s’agit plus seulement de discréditer les données scientifiques, mais de faire disparaître les agences et les organismes qui les produisent. Si à l’ère Reagan, les scientifiques étaient vus comme des adversaires à décrédibiliser, à l’ère Trump, ils sont tout simplement considérés comme des ennemis à éliminer.
Naomi Oreskes retrace cette longue histoire de lutte contre les faits visant à prémunir l’industrie fossile contre toute forme de régulation. Elle pointe l’asymétrie du combat en cours : on y trouve d’un côté des acteurs surpuissants, qui ont tout à perdre dans une véritable révolution climatique et usent de leur proximité avec le pouvoir pour maintenir le statu quo, tandis que de l’autre, les citoyens ordinaires du Bengladesh, des Maldives ou du Golfe du Mexique jouent leur survie mais n’ont pas voix au chapitre.
Sur la question climatique, plus que partout ailleurs, l’extrême droite politique et économique mise sur une arme dévastatrice et d’une efficacité redoutable : la production délibérée de l’ignorance.
Notre entretien a eu lieu à Boston, le 24 mars 2025.
Prologue
Récemment encore, on nous expliquait que le point culminant du déni climatique était derrière nous. L’heure serait désormais au capitalisme vert et au développement durable. Même les administrateurs mondiaux du capital fossile, convaincus par des incitations tant financières que politiques, se seraient résolus à la nécessité d’une transition énergétique.
Il est vrai qu’à partir de la fin des années 2010, l’action climatique mondiale a connu un élan sans précédent : pressés par un vigoureux mouvement citoyen et une succession de grandes marches pour le climat, les dirigeants politiques du Nord global ont pris des engagements ambitieux, notamment consignés dans le Pacte vert européen et la loi Biden sur la réduction de l’inflation. Sensibles à l’air du temps, les trois plus grands cabinets de conseil internationaux ont eux aussi fait assaut de vertu environnementale. Toutefois, la montée en puissance des droites radicales, tragiquement incarnée par le retour au pouvoir de Donald Trump, a mis un coup d’arrêt brutal aux espoirs que cette évolution permettait de nourrir. Soudain libérés de l’obligation de sacrifier au greenwashing, les promoteurs du déni climatique tirent parti du carbo-cynisme arboré par le locataire de la Maison blanche pour revenir à un négationnisme sans fard.
L’historienne américaine des sciences, Naomi Oreskes, nous dresse un portrait de ceux qu’elle appelle “Les marchands de doute”. Dans l‘ouvrage phare qu’elle a coécrit avec Erik Conway en 2010, elle montrait comment, dans les années 80 déjà, un petit groupe de scientifiques, étroitement liés par des intérêts idéologiques et économiques, s’était efforcé de minimiser les risques associés au tabagisme, aux pluies acides ou encore à l’hiver nucléaire. Sous le patronage de l’administration Reagan, l’objectif était clair : il s’agissait de décrédibiliser la science et d’insuffler le doute pour justifier l’inaction politique.
Aujourd’hui, la triade classique du déni climatique, à savoir nier le réchauffement de la planète, contester ses impacts et mitiger la responsabilité humaine, s’accompagne d’une nouvelle tendance. Avec l’essor de l’autoritarisme, il ne s’agit plus seulement de discréditer les données scientifiques, mais de faire disparaître les agences et les organismes qui les produisent. Si à l’ère Reagan, les scientifiques étaient vus comme des adversaires à décrédibiliser, à l’ère Trump, ils sont tout simplement considérés comme des ennemis à éliminer.
Naomi Oreskes retrace cette longue histoire de lutte contre les faits visant à prémunir l’industrie fossile contre toute forme de régulation. Elle pointe l’asymétrie du combat en cours : on y trouve d’un côté des acteurs surpuissants, qui ont tout à perdre dans une véritable révolution climatique et usent de leur proximité avec le pouvoir pour maintenir le statu quo, tandis que de l’autre, les citoyens ordinaires du Bengladesh, des Maldives ou du Golfe du Mexique jouent leur survie mais n’ont pas voix au chapitre.
Sur la question climatique, plus que partout ailleurs, l’extrême droite politique et économique mise sur une arme dévastatrice et d’une efficacité redoutable : la production délibérée de l’ignorance.
Notre entretien a eu lieu à Boston, le 24 mars 2025.