Moyen-Orient, Année Zéro

Ziad MAJED Propos recueillis le 30 Août 2025

Introduction

Biographie de Ziad Majed

Ziad Majed est un politiste franco-libanais. Il est professeur à l'Université américaine de Paris où il dirige le programme des études du Moyen-Orient. Il est l'auteur de Syrie, la révolution orpheline (Actes Sud, 2014), de Dans la tête de Bachar Al-Assad (avec S. Hadidi et F. Mardam Bey - Actes Sud, 2018 et 2025) et de Le Proche-Orient, miroir du monde. Comprendre le basculement en cours (La Découverte, 2025).

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Biographie de Ziad Majed

Ziad Majed est un politiste franco-libanais. Il est professeur à l'Université américaine de Paris où il dirige le programme des études du Moyen-Orient. Il est l'auteur de Syrie, la révolution orpheline (Actes Sud, 2014), de Dans la tête de Bachar Al-Assad (avec S. Hadidi et F. Mardam Bey - Actes Sud, 2018 et 2025) et de Le Proche-Orient, miroir du monde. Comprendre le basculement en cours (La Découverte, 2025).

Prologue

Soutenir la cause palestinienne a longtemps été ressenti comme une obligation par les dirigeants arabes, y compris lorsqu’ils privaient leurs concitoyens de leurs droits politiques et civils. La solidarité affichée avait en effet pour fonction de compenser les défaillances du contrat social. Cependant, une fois les soulèvements du début des années 2010 mis en échec, certains chefs d’États et de gouvernements se sont persuadés qu’une telle concession n’était plus nécessaire.

En témoignent les Accords d’Abraham négociés sous l’égide de la première administration Trump en 2020, et qui ont vu le Maroc, le Bahreïn, le Soudan et les Émirats Arabes Unis reconnaître Israël sans avoir obtenu le moindre engagement concernant la création d’un État palestinien. Dans la foulée, on a appris que d’autres pays, et notamment l’Arabie Saoudite, s’apprêtaient à faire de même. En parallèle, Benyamin Netanyahou est revenu au pouvoir en Israël à la fin de l’automne 2022 et a aussitôt proclamé que sous la houlette de son gouvernement d’extrême-droite, tous les territoires palestiniens occupés seraient bientôt incorporés à la Terre d’Israël.

C’est dans ce contexte qu’ont eu lieu les attentats terroristes commandités par le Hamas, le 7 octobre 2023, et la campagne génocidaire lancée par l’armée israélienne deux jours plus tard. Pour l’organisation islamiste, l’objectif de la funeste opération « déluge d’Al-Aqsa » consistait à conjurer l’effacement du peuple palestinien. Pour les autorités israéliennes, il ne s’agissait pas tant de représailles ou de vengeance, encore moins de rapatrier les otages, mais bien de saisir l’occasion de mettre en œuvre un plan déjà établi.

Dans l’entretien qu’il nous a donné comme dans son dernier livre – intitulé Le Proche-Orient, miroir du monde – le politiste franco-libanais Ziad Majed retrace les étapes de la catastrophe en cours et explore ses ramifications, tant régionales que globales. Pour faire la lumière sur cette nouvelle césure dans l’histoire du Proche-Orient, le terrain qu’il privilégie n’est pas la Palestine ou Israël mais les pays environnants – le Liban et la Syrie en particulier – qui se trouvent entraînés dans la tentative israélienne d’apporter une résolution définitive, pour ne pas dire une solution finale, à la question palestinienne.

Au Liban, rappelle Ziad Majed, le Hezbollah a réagi à l’assaut contre Gaza en jouant son rôle de membre de « l’axe de la résistance » promu par Téhéran, mais en veillant à éviter d’entrer en guerre ouverte avec Israël. Pour le gouvernement Netanyahou, en revanche, il n’était plus temps de se borner à endiguer le mouvement chi’ite libanais : encouragés par le soutien inconditionnel des États-Unis – de Joe Biden à Donald Trump – et par la complaisance européenne, les Israéliens ne se sont pas contentés d’entamer considérablement les capacités militaires du Hezbollah. Afin de se prémunir contre toute menace dans l’avenir, ils ont en outre réduit de larges portions du Liban Sud à l’état de zones tampons inhabitables et s’emploient à exercer un contrôle aérien permanent sur le reste du pays.

En Syrie, tant l’offensive israélienne que la poursuite de la guerre en Ukraine ont fini par priver Bachar el-Assad des forces qui le maintenaient au pouvoir – à savoir les troupes chi’ites venues d’Iran, d’Irak et du Liban au sol, et l’aviation russe dans les airs. Si la chute du régime baasiste a été accueilli avec joie par l’immense majorité de la population syrienne, Ziad Majed reconnaît que le soulagement et l’espoir se sont rapidement teintés d’inquiétudes relatives au sort de certaines minorités – Alaouite, Druze et Kurde – ainsi qu’aux ambitions des puissances étrangères. Parmi celles-ci, Israël, plus encore que la Turquie, est rapidement apparu comme la principale menace pesant sur l’unité de la Syrie et les perspectives de sa reconstruction. Décidées à imposer leur tutelle à Damas comme à Beyrouth, les autorités de Jérusalem ont non seulement accaparé de nouveaux territoires autour des collines du Golan mais également détruit la quasi-totalité de l’armement dont disposait encore l’armée syrienne.

Au cours de notre entretien, nous avons invité Ziad Majed à évaluer les marges de manœuvres dont disposent Nawaf Salam, le premier ministre libanais et Ahmed al-Charaa, le chef de guerre devenu président syrien, pour desserrer l’emprise de leurs envahissants voisins, conjurer l’exacerbation des conflits intercommunautaires et obtenir l’aide dont leurs pays ont un si pressant besoin. Nous lui avons également demandé de spéculer sur les intentions de Mohammed ben Salmane, le prince héritier saoudien et du président turc Recep Tayyip Erdogan, ainsi que de se prononcer sur le pouvoir d’intermédiation dont les dirigeants qatari et les militaires égyptiens peuvent encore se prévaloir, et enfin d’examiner les options d’un régime iranien affaibli par l’offensive israélo-américaine et la décomposition de « l’axe de la résistance ». Comme nos échanges l’illustrent, l’avenir de la région est avant tout appendu à la persistance du soutien américain à l’hubris israélienne, mais aussi à l’aptitude des mouvements sociaux, au Proche-Orient et au-delà, à dissuader leurs gouvernements de s’accommoder du processus d’annihilation dont le peuple palestinien est l’objet.

Notre entretien avec Ziad Majed a eu lieu à Paris et s’est étalé sur deux séances. La première remonte au 9 mai 2025, soit à un moment où Donald Trump s’apprêtait à rencontrer Mohammed ben Salmane à Riyadh et semblait enclin à suivre ses conseils – à savoir inciter Netanyahou à plus de modération et poursuivre les négociations avec Téhéran. Toutefois, un mois plus tard, les bombes israéliennes mais aussi américaines s’abattaient sur l’Iran. Il nous a dès lors paru nécessaire d’actualiser notre entretien avec un second épisode qui s’est déroulé le 30 août 2025.

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Prologue

Soutenir la cause palestinienne a longtemps été ressenti comme une obligation par les dirigeants arabes, y compris lorsqu’ils privaient leurs concitoyens de leurs droits politiques et civils. La solidarité affichée avait en effet pour fonction de compenser les défaillances du contrat social. Cependant, une fois les soulèvements du début des années 2010 mis en échec, certains chefs d’États et de gouvernements se sont persuadés qu’une telle concession n’était plus nécessaire.

En témoignent les Accords d’Abraham négociés sous l’égide de la première administration Trump en 2020, et qui ont vu le Maroc, le Bahreïn, le Soudan et les Émirats Arabes Unis reconnaître Israël sans avoir obtenu le moindre engagement concernant la création d’un État palestinien. Dans la foulée, on a appris que d’autres pays, et notamment l’Arabie Saoudite, s’apprêtaient à faire de même. En parallèle, Benyamin Netanyahou est revenu au pouvoir en Israël à la fin de l’automne 2022 et a aussitôt proclamé que sous la houlette de son gouvernement d’extrême-droite, tous les territoires palestiniens occupés seraient bientôt incorporés à la Terre d’Israël.

C’est dans ce contexte qu’ont eu lieu les attentats terroristes commandités par le Hamas, le 7 octobre 2023, et la campagne génocidaire lancée par l’armée israélienne deux jours plus tard. Pour l’organisation islamiste, l’objectif de la funeste opération « déluge d’Al-Aqsa » consistait à conjurer l’effacement du peuple palestinien. Pour les autorités israéliennes, il ne s’agissait pas tant de représailles ou de vengeance, encore moins de rapatrier les otages, mais bien de saisir l’occasion de mettre en œuvre un plan déjà établi.

Dans l’entretien qu’il nous a donné comme dans son dernier livre – intitulé Le Proche-Orient, miroir du monde – le politiste franco-libanais Ziad Majed retrace les étapes de la catastrophe en cours et explore ses ramifications, tant régionales que globales. Pour faire la lumière sur cette nouvelle césure dans l’histoire du Proche-Orient, le terrain qu’il privilégie n’est pas la Palestine ou Israël mais les pays environnants – le Liban et la Syrie en particulier – qui se trouvent entraînés dans la tentative israélienne d’apporter une résolution définitive, pour ne pas dire une solution finale, à la question palestinienne.

Au Liban, rappelle Ziad Majed, le Hezbollah a réagi à l’assaut contre Gaza en jouant son rôle de membre de « l’axe de la résistance » promu par Téhéran, mais en veillant à éviter d’entrer en guerre ouverte avec Israël. Pour le gouvernement Netanyahou, en revanche, il n’était plus temps de se borner à endiguer le mouvement chi’ite libanais : encouragés par le soutien inconditionnel des États-Unis – de Joe Biden à Donald Trump – et par la complaisance européenne, les Israéliens ne se sont pas contentés d’entamer considérablement les capacités militaires du Hezbollah. Afin de se prémunir contre toute menace dans l’avenir, ils ont en outre réduit de larges portions du Liban Sud à l’état de zones tampons inhabitables et s’emploient à exercer un contrôle aérien permanent sur le reste du pays.

En Syrie, tant l’offensive israélienne que la poursuite de la guerre en Ukraine ont fini par priver Bachar el-Assad des forces qui le maintenaient au pouvoir – à savoir les troupes chi’ites venues d’Iran, d’Irak et du Liban au sol, et l’aviation russe dans les airs. Si la chute du régime baasiste a été accueilli avec joie par l’immense majorité de la population syrienne, Ziad Majed reconnaît que le soulagement et l’espoir se sont rapidement teintés d’inquiétudes relatives au sort de certaines minorités – Alaouite, Druze et Kurde – ainsi qu’aux ambitions des puissances étrangères. Parmi celles-ci, Israël, plus encore que la Turquie, est rapidement apparu comme la principale menace pesant sur l’unité de la Syrie et les perspectives de sa reconstruction. Décidées à imposer leur tutelle à Damas comme à Beyrouth, les autorités de Jérusalem ont non seulement accaparé de nouveaux territoires autour des collines du Golan mais également détruit la quasi-totalité de l’armement dont disposait encore l’armée syrienne.

Au cours de notre entretien, nous avons invité Ziad Majed à évaluer les marges de manœuvres dont disposent Nawaf Salam, le premier ministre libanais et Ahmed al-Charaa, le chef de guerre devenu président syrien, pour desserrer l’emprise de leurs envahissants voisins, conjurer l’exacerbation des conflits intercommunautaires et obtenir l’aide dont leurs pays ont un si pressant besoin. Nous lui avons également demandé de spéculer sur les intentions de Mohammed ben Salmane, le prince héritier saoudien et du président turc Recep Tayyip Erdogan, ainsi que de se prononcer sur le pouvoir d’intermédiation dont les dirigeants qatari et les militaires égyptiens peuvent encore se prévaloir, et enfin d’examiner les options d’un régime iranien affaibli par l’offensive israélo-américaine et la décomposition de « l’axe de la résistance ». Comme nos échanges l’illustrent, l’avenir de la région est avant tout appendu à la persistance du soutien américain à l’hubris israélienne, mais aussi à l’aptitude des mouvements sociaux, au Proche-Orient et au-delà, à dissuader leurs gouvernements de s’accommoder du processus d’annihilation dont le peuple palestinien est l’objet.

Notre entretien avec Ziad Majed a eu lieu à Paris et s’est étalé sur deux séances. La première remonte au 9 mai 2025, soit à un moment où Donald Trump s’apprêtait à rencontrer Mohammed ben Salmane à Riyadh et semblait enclin à suivre ses conseils – à savoir inciter Netanyahou à plus de modération et poursuivre les négociations avec Téhéran. Toutefois, un mois plus tard, les bombes israéliennes mais aussi américaines s’abattaient sur l’Iran. Il nous a dès lors paru nécessaire d’actualiser notre entretien avec un second épisode qui s’est déroulé le 30 août 2025.